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NOS ACTUALITÉS

Barème Macron - La méthode in abstracto en pratique



La conventionnalité in abstracto


Cour de cassation (avis non-contraignants)


Les avis rendus le 17 juillet 2019 (n° 15012 et 15013) par la Cour de cassation évitent de juger la conventionnalité de la « barémisation » à l’aune de ses conséquences concrètes. Cela est d’autant plus regrettable que les demandes qui lui avaient été transmises portaient sur des cas d’espèce où le salarié disposait de moins de 2 ans d’ancienneté dans une entreprise comptant moins de 11 salariés et avait droit, en conséquence, à une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (ci-après SCRS) comprise entre 1 et 2 mois de salaire brut.


Après avoir précisé que la notion conventionnelle d’ « indemnisation adéquate » réservait à l’Etat français « une marge d’appréciation » dans l’indemnisation du licenciement SCRS, marge comprise ici comme limitative du principe de réparation intégrale du droit commun de la responsabilité, la chambre mixte s’est contentée rappeler les deux motifs d’exclusion des barèmes Macron - la réintégration du salarié et la nullité du licenciement – pour justifier leur « compatibilité » avec l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT.


Conseil de prud'hommes (ci-après CPH) du Mans


Confronté à une salariée de moins d’un an d’ancienneté pour un plafond d’indemnisation d’un mois de salaire brut, le CPH du Mans (jugement n° 17-00538) s’est également retranché derrière une appréciation abstraite de la conventionnalité de l’article L1235-3.


Ici, les motifs de sa conformation à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT sont au nombre de trois (page 7) :

  1. la possibilité de considérer d’autres critères que l’ancienneté du salarié à l’intérieur de la fourchette légale – « notamment l’âge et les difficultés à retrouver un emploi, après des années passées au sein de la même entreprise » ;

  2. l’exclusion des cas de nullité prévus à l’article L1235-3 ;

  3. et la possibilité pour le salarié d’obtenir la réparation de préjudices distincts « sur le fondement du droit de la responsabilité civile » - en l’occurrence, le tribunal a condamné l’employeur à une indemnité pour licenciement vexatoire.

L’inconventionnalité in abstracto


CPH du Havre


Dans son jugement (n° 18/00413) du 10 septembre 2019, le CPH du Havre a retenu l’inconventionnalité des fourchettes d’indemnisation au terme d’un contrôle de conventionnalité in abstracto. Sauf erreur, il s’agit de la première décision à rejeter l’application de l’article L1235-1 du code du travail sans même vérifier si, dans le cas d’espèce, sa mise en œuvre aurait conduit à une « indemnisation inadéquate » ou à une « réparation inappropriée » du licenciement injustifié.


En l’espèce, le salarié qui travaillait depuis 9 années en qualité d’agent logistique avait été évincé sans motif valable. Conformément à la loi, il avait droit à une indemnité pour licenciement SCRS comprise entre un plancher de 2,5/3 mois et un plafond de 9 mois de salaire brut. En condamnant l’employeur à lui verser une indemnité de licenciement injustifié de 35.000 euros, le CPH du Havre a tranché au-delà du maximum légal.

Exclusivement à charge et donc fortement déséquilibrée, l’approche retenue a très peu de chance d’être confirmée en appel. En attendant, elle permet d’exposer certains des éléments les plus inquiétants du nouveau régime.


Le premier est que l’ancienneté ne constitue pas une variable d’indemnisation suffisante. Par hypothèse, « un salarié avec une ancienneté faible peut avoir un préjudice plus important qu’un salarié avec une ancienneté importante ».


Le second est que les montants prévus par les fourchettes d’indemnisation inciteraient les employeurs à licencier sans motif valable en raison de leur plafonnement, ainsi que de leur faiblesse (page 15).


Certains des arguments avancés mériteraient d’être confortés par des exemples précis.


La plupart sont à relativiser :

  • l’objectif de sécurisation des employeurs n’est pas antinomique avec la réparation du préjudice subi en cas de licenciement SCRS ;

  • le plafond indemnitaire n’incite pas forcément au licenciement injustifié, particulièrement dans les cas où l’ancienneté du salarié est importante ;

  • la comparaison opérée entre les fourchettes d’indemnisation du licenciement SCRS et le barème de l’indemnité forfaitaire de conciliation ne parait pas pertinente eu égard à leurs périmètres respectifs ;

  • le Comité Européen des Droits Sociaux (ci-après CEDS) n’a pas sanctionné le droit finlandais au seul motif d’un plafonnement indemnitaire problématique;

  • la « forte diminution » des indemnisations depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ne semble pas compatible avec les moyennes issues de la pratique juridictionnelle qui ont présidées à la détermination des fourchettes.

Autrement, le CPH du Havre se méprend en affirmant que « le salarié ne peut pas obtenir réparation d’un certain nombre de préjudices (conséquences morales sur sa personne et sa famille, sur la santé financière en termes de rémunérations ou sur ses biens, etc) par une autre voie judiciaire » (page 15). Le tribunal ignore que le nouveau régime ne fait pas obstacle à d’autres demandes indemnitaires, sur le terrain du préjudice moral, des circonstances vexatoires du licenciement, de manquements de l’employeur à une obligation légale ou contractuelle, etc.


Certes, les contraintes indemnitaires imposées par le dernier alinéa de l’article L1235-3 restreignent encore davantage la marge d’appréciation du juge prud’homal à l’intérieur des fourchettes d’indemnisation. Pour autant, il est faux d’écrire que la « barémisation », dans son ensemble, lui retire « quasiment tout pouvoir d’appréciation » ou encore qu’elle l’empêche absolument « d’octroyer aux salariés l’indemnité adéquate tenant compte de l’ensemble de leurs préjudices ». Si cela peut effectivement arriver dans certaines conditions (faible ancienneté du salarié, effectif de moins de 11 salariés, cumul indemnitaire de l’alinéa 5), cela n’est pas nécessairement le cas.


Pour toutes ces raisons, la différence entre conventionnalité abstraite et inconventionnalité concrète ne devrait pas être négligée.

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