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Barème Macron - La méthode "in concreto" en pratique



L’inconventionnalité in concreto


Conseil de prud'hommes (ci-après CPH) de Troyes


Le CPH de Troyes fut le premier à retenir l’inconventionnalité des fourchettes d’indemnisation par deux jugements du 13 décembre 2018 (n° 18/00035 et 18/00036).


Pour ce faire, il invoqua trois arguments :

  1. une décision du Comité Européen des Droits Sociaux (ci-après CEDS) qui retint la violation de l’article 24 de la Charte sociale européenne (ci-après CSE) en présence d’un régime de plafonnement des indemnités de licenciement injustifié proche de celui de la France ;

  2. l’impossibilité de procéder à la réparation intégrale du préjudice subi;

  3. et le caractère non-dissuasif d’un plafond d’indemnisation.

A l’occasion de l’affaire Finnish Society of Social Rights c. Finlande (n° 106/2014), le CEDS jugea le 8 septembre 2016 que, « dans certains cas de licenciement abusif, l’octroi d’une indemnisation [plafonnée] à hauteur de 24 mois [pouvait] ne pas suffire pour compenser les pertes et le préjudice subis [et] que le plafonnement de l’indemnisation prévue [pouvait] laisser subsister des situations dans lesquelles l’indemnisation accordée ne [couvrait] pas le préjudice subi » (§. 47).

Le parallèle effectué par les juges du CPH de Troyes entre la loi finlandaise et la loi française pour justifier la violation de l’article 24 de la CSE par l’article L1235-3 du code du travail manque de pertinence pour plusieurs raisons.


Le Comité n’a pas condamné le plafonnement légal de l’indemnité de licenciement injustifié mais les conséquences qu’il peut avoir sur l’indemnisation du salarié victime en l’absence de chefs alternatifs de réparation. Au-delà, le caractère dissuasif ou non de l’indemnité plafonnée ne permet pas, à lui seul, de déterminer la conventionnalité de l’indemnité prévue.


Par ailleurs, le CEDS a été saisi le 12 mars 2018 d’une réclamation (n° 160/2018) de la CGT contre la « barémisation » française pour « mauvaise application » de l’article 24 de la CSE. Si la décision à venir ne s’imposera pas, en tant que telle, aux juges français, elle disposera d’une autorité interprétative de premier plan.


Dans l’attente du dénouement de cette procédure, il serait plus prudent d’éviter de se référer à l’inconventionnalité d’une loi étrangère pour justifier l’inconventionnalité de dispositions françaises qui, tout en étant similaires par certains aspects (plafonnement de l’indemnité, potentiel d’incitation au licenciement) s’en distinguent par d’autres (cas d’exclusion, chefs alternatifs d’indemnisation).


Centrés sur l’évaluation concrète de la conventionnalité d’indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse (ci-après SCRS) comprises entre ½ et 2 mois de salaire brut, les arguments tirés de la réparation inappropriée du préjudice de perte d’emploi et du caractère non-dissuasif du plafond indemnitaire imposé dans les deux cas d’espèce sont bien plus solides. Les jugements du 13 décembre 2018 portent sur le licenciement SCRS d’un couple qui travaillait pour la même entreprise - de moins de 11 salariés - depuis un peu moins de 2 ans.


Le CPH s’appuie sur les « conditions délétères » de leur éviction, particulièrement sur :

  • la concomitance des deux pertes d’emploi et le dédoublement de leur impact financier pour le ménage considéré;

  • le manquement de l’employeur à un engagement de garantie d’emploi d’au moins 3 années pour chacun des époux ;

  • et « la grande malhonnêteté de l’employeur » ;

pour écarter la fourchette prévue par l’article L1235-3 du code du travail et condamner le défendeur à une indemnité de licenciement SCRS de 6 mois de salaire brut pour l’épouse et de 9 mois de salaire brut pour l’époux.


Partant de cette appréciation in concreto - en considération des faits pertinents - les conseillers jugent que le plafonnement légal de l’indemnité de licenciement SCRS doit être réputé inconventionnel in abstracto, tant au regard de l’article 24 de la CSE que de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT : « un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales […] ne permet pas […] d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi ». Dans le prolongement, ils précisent que « ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécurisent d’avantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables » (page 9).


Le lien opéré entre l’inconventionnalité concrète et l’inconventionnalité abstraite du nouveau régime est problématique car injustifiée.


Ce n’est pas le principe du plafonnement, mais son application en l’espèce qui est susceptible de rendre inadéquate l’indemnisation du licenciement SCRS. Pareillement, ce n’est pas le principe du barème, mais son application en l’espèce qui est susceptible d’inciter l’employeur à licencier sans motif valable. L’ancienneté plus importante du salarié augmente la fourchette indemnitaire et renforce du même coup l’effet dissuasif d’un licenciement abusif.


Si l’appréciation concrète de l’inconventionnalité du nouveau dispositif parait justifiée pour les deux cas d’espèce impliquant des salariés de faible ancienneté, celle-ci ne suffisait pas à établir son inconventionnalité abstraite pour tous les licenciements injustifiés.


La conventionnalité in concreto


Cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 8)


L’arrêt (n° 16/05602) rendu le 30 octobre 2019 (pôle 6, chambre 8) par la Cour d’appel de Paris concernait le licenciement SCRS d’un salarié disposant d’une ancienneté de 16 années. Dans ce cas de figure, la fourchette d’indemnisation imposée par l’article L1235-3 du code du travail oscille entre 3 et 13,5 mois de salaire brut.


La marge d’appréciation laissée aux juges en l’espèce – de 10,5 mois pour un salaire brut moyen de 5.222,83 euros par mois – explique par son ampleur le choix de valider in concreto la conventionnalité du nouveau dispositif. Bien qu’elle ne soit pas comparable avec celle des niveaux d’ancienneté les plus faibles, les juges choisirent de généraliser leur raisonnement de validation à l’ensemble du dispositif (page 25).


Injustifiée, la généralisation opérée à partir des faits particuliers de l’espèce tend inévitablement à discréditer cette approche.


Au final, le salarié obtint une indemnité de licenciement SCRS de 13 mois de salaire brut en considération de son âge (45 ans) et de sa situation professionnelle (« une situation de chômage indemnisé pendant 15 mois puis […] d’une formation rémunérée » (page 25).

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