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NOS ACTUALITÉS

Barème Macron - La méthode mixte en pratique



La conventionnalité in abstracto sous réserve de l’inconventionnalité in concreto


Cour d’appel de Reims


Ayant à connaitre de l’un (n° 18/00035) des deux jugements d’inconventionnalité rendus le 13 décembre 2018 par le Conseil de prud'hommes (ci-après CPH) de Troyes, la Cour d’Appel de Reims a décidé le 25 septembre 2019 (arrêt n° 19-00003) de l’infirmer au terme d’un double contrôle de conventionnalité, in abstracto puis in concreto, de l’article L1235-3 du code du travail.


Si le travail de pédagogie effectué par les juges mérite d’être salué, il demeure une grande confusion dans l’articulation des deux volets – abstrait et concret – de l’examen conventionnel.


Déjà emmêlée dans les concepts d’applicabilité et d’effectivité directes, la Cour a eu toutes les peines à clarifier le dédoublement de l’examen - in abstracto et in concreto - de la conformité de la loi aux conventions pertinentes. Toutefois, cela n’enlève rien à la justesse de sa conclusion : une conventionnalité abstraite confirmée en l’espèce par une conventionnalité concrète.


Les juges commencèrent par distinguer d’une part le contrôle de conventionnalité in abstracto « de la règle de droit elle-même », d’autre part le contrôle de conventionnalité in concreto « de son application dans les circonstances de l’espèce » ; avant d’ajouter qu’ils « peuvent se juxtaposer » (page 12).


Sur l’articulation des deux types de contrôle, la Cour précise que la conventionnalité abstraite de la loi ne préjuge pas de sa conventionnalité concrète. Alors que la première se suffit d’un jugement de droit, la seconde commande de rapporter ce jugement de droit aux faits du cas d’espèce.


Le moyen choisi par les juges pour établir un tel rapport est le contrôle de proportionnalité.


1. Le contrôle de conventionnalité (et de « proportionnalité ») in abstracto


Les juges procèdent à la définition suivante des notions d’« indemnité adéquate » et de « réparation appropriée » en matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse (ci-après SCRS) : « l’indemnité dite adéquate ou la réparation appropriée du préjudice de perte d’emploi s’entend […] d’une indemnisation d’un montant raisonnable, et non purement symbolique, en lien avec le préjudice effectivement subi et adaptée à son but qui est d’assurer l’effectivité du droit à la protection du salarié. Elle doit être suffisante pour rester dissuasive et ne pas vider d’effectivité l’exigence d’une cause réelle et sérieuse » (page 15).


Quant au préjudice de licenciement SCRS, la Cour précise qu’il ne doit pas être confondu avec le préjudice moral ou de licenciement vexatoire, qu’il « englobe des aspects personnels et économiques de la perte d’emploi [et qu’il] dépend de l’impact de la perte d’emploi sur un salarié compte tenu certes de son ancienneté mais aussi de son âge, de sa qualification professionnelle ou encore de sa situation personnelle » (page 15).


Après avoir défini les standards conventionnels applicables, les juges ont procédé à l’inventaire des arguments favorables ou défavorables à la conventionnalité abstraite des barèmes « Macron ».


Parmi les éléments négatifs, ils relèvent que la technique des fourchettes d’indemnisation et le cumul imposé de plusieurs indemnités (dernier alinéa) limitent le pouvoir du juge prud’homal d’individualiser le préjudice de perte d’emploi du côté du salarié et la sanction du licenciement injustifié du côté de l’employeur.


Pour ce qui est du caractère dissuasif ou non des fourchettes d’indemnisation, la Cour estime que leur augmentation progressive en fonction du nombre d’années d’ancienneté du salarié permet, in abstracto, d’écarter l’incitation au licenciement SCRS : « L’amplitude entre les minima et les maxima ne saurait, en raison de sa progression réelle, être considérée comme incitant, en elle-même, au licenciement » (page 16).


Parmi les éléments positifs, ils insistent sur la marge de manœuvre laissée au juge à l’intérieur des fourchettes d’indemnisation, tout en rappelant qu’elles ne résultent pas de l’arbitraire du législateur mais de moyennes constatées dans la pratique juridictionnelle antérieure.


Contrairement à la technique du barème qui impose une valeur indemnitaire prédéfinie et interdit toute marge d’évaluation juridictionnelle, celle de la fourchette préserve une liberté d’appréciation à mesure de l’amplitude des valeurs comprises entre les minimas et maximas imposés. Or, cette liberté comprend la faculté de mobiliser d’autres critères que l’ancienneté du salarié dans la détermination de l’indemnisation du licenciement SCRS, tels que l’âge, la qualification professionnelle ou la situation personnelle (page 17).


En outre, l’exclusion du plafonnement indemnitaire des cas de nullité prévus à l’article L1235-3-1 du code du travail et de chefs alternatifs d’indemnisation du licenciement restreignent les aspects les plus préoccupants du dispositif.


La mise en balance des éléments positifs et négatifs ainsi répertoriés aboutit à un jugement de conventionnalité in abstracto. Dans l’esprit de la Cour, la « barémisation » ne porte pas, en droit, une atteinte disproportionnée aux standards conventionnels d’indemnisation adéquate et de réparation appropriée du licenciement injustifié (page 17).


2. Le contrôle de conventionnalité (et de « proportionnalité ») in concreto


Sachant que la conventionnalité abstraite du dispositif légal « ne dispense pas » de contrôler sa conventionnalité concrète, en situation, il était attendu que la Cour se livre à un contrôle de proportionnalité au stade de l’application de la règle de droit au cas d’espèce, qu’elle se prononce sur la conventionnalité effective d’une fourchette d’indemnisation comprise entre ½ et 2 mois de salaire brut dans le contexte du licenciement SCRS.


Les juges ont néanmoins refusé d’y procéder, arguant du fait qu’ils ne pouvaient l’accomplir en l’absence d’une demande expresse de la salariée en ce sens ! « La recherche de proportionnalité, entendue cette fois ‘in concreto’ et non ‘in abstracto’, doit toutefois avoir été demandée […]. Elle ne saurait être exercée d’office par le juge du fond qui ne peut, de sa seule initiative, procéder à une recherche visant à écarter, le cas échéant, un dispositif dont il reconnait le caractère conventionnel » (page 17).


Autrement dit, le contrôle de conventionnalité in abstracto serait d’office au contraire du contrôle de conventionnalité in concreto. Cela n’a pourtant rien d’évident, ni de logique. Il est pour le moins regrettable que la Cour n'ait pas jugé utile de s'expliquer sur ce point.

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